Le fauteuil club au Saint James Club de Paris est vide; pour toujours.
Bernard Rapp vient de nous quitter hier, rattrapé par un cancer du poumon à la con.
L'annonce du décès d'un people nous émeut ...selon ... comme disait Desproges
(qui n'est pas dans mon panthéon, mais en sortait de bonnes!):
"Quand Brassens est mort, j'étais malheureux comme les pierres,
quand Tino Rossi est mort, j'ai repris deux fois des pâtes".
Moi, j'ai l'appétit coupé. Pas de myrtilles chez Louisette, ni de mouton de Barèges grillé pour aujourd'hui.
Et en plus, il pleut à Barèges; je suis dans le gris des nuages. Quelle Sainte Hélène triste ce 18 Aout.
L'assiette anglaise m'a nourrie chaque samedi
à 13 h 20 sur La 2, de 1987 à 1989.
Une recette savoureusement douce-amère et délicieusement efficace,
pour ses chroniques culturelles dans une ambiance décontractée sans amabilité forcée.
(Sept d'or du meilleur magazine artistique en 1989).
La voix si sensuelle de Bernard Rapp me berçait:
sa manière de décortiquer les mets & autres bouchées sucrées de l'actualité culturelle,
avec son humour «so british»,
avec sa curiosité insatiable et son énergie communicative,
... j'avais 22/24 ans, j'étais fiancée à Olivier Thom, mais j'étais amoureuse de Bernard Rapp!
Isabelle Giordano (que j'apprécie beaucoup aussi) aime à rappeler qu'elle a appris son métier en le regardant présenter «Un siècle d'écrivains» :
il nous a dressé, avec ses 257 documentaires de qualité, un formidable panorama des écrivains du XXe siècle.
Je me suis régalée de toutes ses émissions au goût des mots:
"Caractères", "Jamais sans mon livre", "Rapp'tout", "Héros vinaigrette", "Tranche de cake"...
France Télévisions rend hommage à Bernard Rapp:
Samedi 19 aout
19h55, France 4, L'assiette anglaise
20h50, France 3, L'héritière
22h05, France 5 (rediff dimanche 10h15 ), Un siècle d'écrivains : John Le Carré.
Dimanche 20
20h45, France O, Jamais sans mon livre, Conversation sur le métissage avec plusieurs écrivains.
Mardi 22
22h25, France 2, Une affaire de goût.
Le film de la consécration: succès public et critique.
Grand prix du festival du film policier de Cognac 2000,
5 citations aux Césars 2001, dont celle du meilleur film.
"Une Affaire de Goût",
écrit et réalisé en 1999, par Bernard Rapp,
d'après une nouvelle de Philippe Balland,
"Affaires de goût".
Frédéric Delamont (Bernard Giraudeau), industriel au sommet de sa réussite, raffiné, original et phobique, propose à un jeune serveur intérimaire, Nicolas Rivière, (Jean-Pierre Lorit ) d'être, contre un salaire élevé, son "goûteur" particulier.
Ce qui commence comme une relation professionnelle insolite mais légère se révélera rapidement être un jeu infiniment plus dangereux pour les deux hommes.
Devant se plier aux exigences machiavéliques de son patron en échange d'une vie prospère, il devient peu à peu son homme de confiance. Ses relations avec sa compagne se dégradent progressivement et il rompt avec ses amis un peu trop marginaux.
Mais à quel prix et jusqu'où cela le mènera-t-il?…
Ce film peut se révéler dérangeant tellement la trame psychologique est intense,
et le jeu du charmant Lorit
se tricote si bien
avec l'arrogance de Giraudeau.
L'ambiance, cynique et malsaine mais policée, est saisissante,
sans tomber dans une gravité mal venue.
Reprenant une structure proche de "Tiré à part", Bernard Rapp décortique le contrôle total de la psychologie d'un homme allant jusqu'à la manipulation extrême.
Ces deux hommes, que tout sépare, sont comme deux particules irrémédiablement attirées l'une l'autre; la fusion sera fatale.
Leur entourage, gravitation de caractères, bons ou mauvais, actifs ou passifs, semble paradoxalement impuissant et coupable de laisser faire.
Une affaire de goût n'est pas qu'une affaire de mœurs. L’homosexualité latente et possible dans cette relation dominant-dominé n’est pas explicite.
Mais il ne s’agit pas simplement de manger des aliments.
C'est aussi dévorer l'autre.
Ne plus lui laisser de vie.
C'est aussi se risquer à être empoisonné pour cause d'incompatibilité, de mœurs.
Dévorer ne veut pas dire digérer.
Le goût des autres a donc ses limites.
Cruel et manipulatoire, Rapp nous mène à la carotte, vers sa cuisine au vinaigre pas très doux, mais de bon goût.
Le film a fait saliver un public connaisseur et nombreux.
Evidemment, il me fait penser à mes autres films cultissimes:
évidemment, "le goût des autres"
et "cuisines & dépendance" and co de Jaoui-Bacri...; on en reparlera.
Une mèche crantée, des allures de dandy cultivé, un charme fou,
une attention délicate aux autres, le goût des autres, avec sensualité,
une curiosité avec l'oeil qui brille,
c'est L'homme Libellule comme j'aime tant,
61 ans, ce n'était pas un âge pour laisser une belle oeuvre, du coup inachevée.
Je suis stupéfaite par la violence de l'annonce faite au journal, sur France 2:
c'est la Gaessler, avec ses yeux bleux de louve qui vient de me la balancer.
Je vais avaler tous les hommages à la TV et me replonger dans ses bouquins.
et Vous?